CONSCRITS OU PAS CONSCRITS ?
Dans mon village du Beaujolais, dans les années 50, ils étaient déjà une bonne cinquantaine à défiler en chantant et vaguant bras dessus bras dessous. Ma grand-mère les faisait même deux fois. Dans son village de naissance, pour revoir ses copines d’école et dans son village d’habitation. Deux kilomètres plus loin. N’oublions pas qu’autrefois, on se mariait entre voisins.
Mon grand-père, d’un naturel taiseux en bon vigneron qui se respecte, n’a jamais autant « causé » et ri à gorge déployée qu’accoutré de bigoudis, de faux seins et d’un canon dans le nez. Oui parce qu’avant d’enfiler le gibus et la cocarde pour la vague du dimanche, la veille les ruelles s’emplissent de chars décorés, d’enfants, d’hommes et de femmes déguisé.e.s. D’ailleurs, à quand les femmes acceptées à Villefranche ? Messieurs, ne sentez-vous pas que les temps changent ?
Mesdames, allez-vous encore longtemps vous contenter du bouquet d’œillets et de mimosas apporté par vos compagnons de décade ? En échange d’un coup à boire et avant d’aller sagement vous coucher, bercées par les klaxons de la voiture verte au pot percé des vingt ans ? Même sort pour les conscrits malades ou handicapés. D’ici à dire et à penser, si on prenait des raccourcis, qu’être une femme est un handicap à la fête…
Bref, la beuverie peut commencer pour trois jours minimums en comptant le retinton du lundi. Quatre avec le super retinton ! Quoique pour ça, on n’attend pas la retraite aux flambeaux et ses milliers de confettis à faire verdir les écolos. En principe, on s’échauffe toute l’année durant dix ans pour les organiser ces fameux conscrits !
D’autant que de l’organisation, il en faut pour récolter l’argent nécessaire au banquet et autre joyeuseté ! entre le boudin aux pommes de la classe en 6, l’andouillette « façon Bobosse » (parce qu’inimitable !) de la 9 et la choucroute de la zéro, chaque weekend, en Beaujolais, vous trouverez quelque chose à manger si vous êtes en panne de fourneaux.
N’en déplaise aux traiteurs qui ont des charges à payer, des normes d’hygiène à respecter et surtout une vie à gagner ! Étant donné que pour la cagnotte des conscrits, on peut bien servir avec des mains sans gant, voire douteuses, une part de moules-frites préparée par Micheline et l’ami Bebert (qui lui, goute surtout la sauce au vin blanc, mais avant qu’il ne soit sauce !). Et puis surtout, ça ne coûte sept euros ! C’est pas la mer à boire ! Parce que l’eau, ça rouille !
Aujourd’hui, ils sont encore autant en 2020 à se rassembler pour cette transition de dizaine. Puisque les habitants venus d’ailleurs s’intègrent dans la vie locale et perpétuent ainsi la tradition. Et ceux qui sont partis reviennent pour l’occasion.
Et voilà que ça s’égosille à tue-tête debout sur la table du bistrot du village, à chanter la digue du cul ou vanter les pieds de cochons de Marie Madelon ! Le ballon de rouge à la main giclant sur les escarpins de la belle Elena que ses collègues du crayon à Lyon peuvent regretter de n’avoir jamais vue dans cet état.
Finalement le Beaujolais en période de conscrits serait peut-être un exutoire. Entre conservatisme et rébellion.
Et vous, vos conscrits, vous les faites ?
Parole d’une inconditionnelle conscrite dans un charmant village du Beaujolais : « Depuis mes 10 ans ! j’en ai 70 et si jamais j’peux plus marcher un jour, j’irai en voiture ! »… Les conscrits dans les petits villages seraient-ils un espace de liberté et d’égalité pour les femmes ?
Parole d’un jeune déconditionné : « je ne bois pas donc ça ne sert à rien ! »… Par conséquent, peut-on se sentir rejeté au travers des conscrits ? Ou pire s’obliger à boire pour en faire partie ?
Parole d’un ancien partisan : « Avant oui… quand on était tous on rigolait bien. Maintenant, la plupart sont morts. »… Dans ce cas, les conscrits, représentent-ils aussi la mort ? Matérialisée par les absents.
Sébastien, ce jeune qui aurait « dû » faire ses 20 ans m’interpelle. Quel est le rôle de l’alcool dans le lien social et en particulier celui des conscrits ?
Et les 10 ans ? Futurs buveurs ? À l’instar de leurs parents ou de Tonton Guguss.
En tout cas, les faire ou pas, on a le choix ! mais pas d’oublier que boire ou conduire, il faut choisir ! Malheureusement et en dépit de cette logique, certains abrutis n’ont toujours pas compris leur dangerosité.
Ainsi, le quinqua au regard hagard roulera au milieu de la route en plein virage. Pareil pour ce jeunot au permis rose tout neuf, ce qu’il vient de griller hormis sa clope, c’était une priorité à droite !
Quand bien même que ce soient les conscrits, ils n’ont aucune excuse si ma mère se trouve dans la voiture d’en face pour promener ses petits-enfants… celle après le virage ! où si la voiture qui arrivait à droite était celle que conduisait ma femme… avant de se retrouver en fauteuil roulant !
Alors, futures générations de conscrits, contrairement à ces beaufs-là, ceux, tellement bornés qu’ils continuent de se croire les rois du pinard sans voir qu’ils n’en sont que les bouffons. Pour rappel , une borne est l’indication d’une limite. En l’occurrence ici, celle de l’esprit ! Montrez leur que vous êtes plus ingénus et plus matures.
Bref, pour continuer de vous amuser et d’apprécier la douce dissidence de cette fête, rien de plus simple : faites-vous conduire ! À vot’ santé !